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L'inductivisme

Idée générale

La méthode la plus élémentaire de recherche scientifique (et d'une certaine manière la plus primitive) repose sur l'induction. Il s'agit de savoir comment trouver une loi générale à partir d'un nombre limité d'observations.

L'idée centrale repose sur deux concepts essentiels: l'expérience précède la théorie, et il faut faire une généralisation à partir d'un ensemble fini d'observations. La science se compose en effet de lois générales, mais une expérience n'est jamais qu'un cas particuliers. Extraire une loi générale à partir d'un ensemble de cas particuliers est un problème délicat, aussi on s'impose les contraintes suivantes:

Par exemple, Galilée a effectué plusieurs expériences sur la chute des corps. Plusieurs fois, il laissa rouler des objets sur un plan incliné et repéra le temps écoulé à intervalles réguliers. Il répéta ces expériences, avec différents objets de différentes masses, et en tira une loi générale: la distance parcourue par un objet en chute libre, sans vitesse initiale, est proportionnelle au carré du temps écoulé depuis le lâcher. En particulier, elle ne dépend pas de la masse de l'objet.

Ce procédé s'appelle induction et il est important de ne pas la confondre avec la notion de déduction. En effet, dans une déduction, la conclusion est vraie de manière certaine si les prémisses sont vraies, ce n'est pas le cas dans le cadre de l'induction, où la conclusion est seulement probablement vraie mais ce n'est pas assurée.

C'est le problème que nous allons aborder tout de suite.

Critique de l'inductivisme

Le mathématicien et philosophe Bertrand Russell dit à propos de ce problème:

« Une dinde arrive dans une ferme, est nourrie tous les jours à 9h. En bonne inductiviste elle recueille un grand nombre de données (jour, climat,...) pour établir une conclusion quant à l'heure des repas des dindes. Elle finit par conclure qu'elle est toujours nourrie à 9h du matin,... jusqu'à la veille de Noël où on lui tranche le cou. »

C'est le problème fondamental: l'induction ne permet pas de tirer une conclusion certaine. Le même problème se pose pour la chute des corps, par exemple on pourrait imaginer qu'au delà d'une certaine masse, la loi énoncée par Galilée n'est plus vraie. Ou peut-être n'est-elle vraie en moyenne qu'une fois sur un million. On peut ainsi imaginer des tas de choses, éventuellement très farfelues, le point principal étant que la loi n'est absolument pas prouvée: on peut en effet en imaginer d'autres, pourtant tout aussi compatibles avec l'observation.

Paradoxe de Goodman

Un exemple intéressant est donnée par le philosophe et logicien Nelson Goodman en 1946. On introduit un nouvel adjectif: «vleu» qui veut dire:

«vert jusqu'en 2050, puis bleu ensuite»

Observer des émeraudes vertes donne par induction: «toutes les émeraudes sont vertes», mais peut très aussi donner: «toutes les émeraudes sont vleues». Le paradoxe est dans le fait qu'on considère toujours comme vraie la première affirmation mais jamais la seconde, alors qu'il n'y a pas de raison logique formelle pour cela.

La raison, d'après Goodman et Hume, se trouve dans «l'habitude». Nous voyons toujours des émeraudes verte, et nous n'observons jamais de changement, alors que la couleur «vleu» suppose une transformation brutale. Ainsi, on fait l'hypothèse implicite de la régularité: les lois de la physique ne changent pas au cours du temps, et on ne peut donc pas présupposer une propriété avec ce genre de référence temporelle. De même, on pourrait s'interdire d'avoir une référence spatiale (c'est à dire: les lois de la physiques sont les mêmes partout).

Il est toutefois important de remarquer que ce genre de supposition trouvent elles mêmes leur origine dans un raisonnement inductif. En fait, Hume considère que cette notion d'habitude trouve sa source dans la psychologie humaine, bien que Hume ne s'interdise pas de l'utiliser dans un cadre scientifique.

Une pétition de principe ?

Un argument possible en faveur de l'induction, est de constater que généralement cette méthode de raisonnement fonctionne bien. Mais si on y regarde de plus près, ceci nous fait entrer dans un cercle vicieux.

En effet, affirmer que le raisonnement inductif fonctionne parce que jusqu'ici il a toujours bien fonctionné est en soi en raisonnement inductif ! On a donc une pétition de principe, c'est à dire que l'on suppose (au moins implicitement) ce que l'on veut prouver et c'est bien évidemment un raisonnement fallacieux.

Inductivisme sophistiqué

Pour répondre à toutes ces objections, les inductivistes ont tentés d'améliorer la situation en s'écartant d'une idée trop naïve de l'induction. Ainsi on peut parler d'«inductivisme sophistiqué», mais ce terme peut s'appliquer à différents systèmes de pensée inductiviste; il ne faut donc pas voir derrière ce terme un courant de pensée homogène et objectivement identifiable.

En effet, l'histoire des sciences montre que de nouvelles idées ne viennent pas toujours d'un raisonnement purement inductif. Elles peuvent venir d'arguments purement théoriques ou d'une bonne intuition. Elles peuvent aussi être motivées par des données empiriques, mais les raisonnements entre les données et la conclusion ne sont pas forcément de nature inductive.

Claude Bernard, un médecin du dix-neuvième siècle, était un partisan de l'inductivisme. Il a créé la méthode OHERIC: Observation, Hypothèse, Expérience, Résultats, Interprétation, Conclusion; qui modélise la démarche scientifique. Il s'agit déjà d'un inductivisme sophistiqué, mais l'observation reste la source première du raisonnement. Ainsi, Claude Bernard refusait l'idée que l'on puisse un jour déterminer la composition des étoiles, car il rejetait tout ce qui était inaccessible à l'observation directe.

Nous savons cependant de nos jours beaucoup de choses sur la composition des étoiles. Il faut donc accepter que l'idée de départ ne soit pas forcément issue d'un raisonnement inductif. Toutefois, puisque l'on se place dans le cadre d'un inductivisme sophistiqué, l'induction n'est pas supprimée mais simplement déplacée. Elle n'est plus forcément la méthode utilisée pour trouver la loi, mais pour la confirmer.

Même si l'induction est déplacée au rang de méthode de vérification et non plus de méthode de recherche, il reste que comme nous l'avons vu, cette vérification est incertaine. Ceci ne répond donc pas totalement aux critiques.