Le réfutationnisme
Introduction: critique de l'inductivisme
Karl Raimund Popper était un philosophe des sciences qui a vécu pendant le vingtième siècle. Il pensait qu'un problème majeur de la philosophie des sciences est de pouvoir distinguer ce qui est scientifique de ce qui ne l'est pas. Il va ainsi sévèrement critiquer l'inductivisme.
Pour Popper, on peut faire autant d'expérience que l'on veut qui vont dans le sens de la théorie, ce n'est pas suffisant pour avoir vraiment confiance en elle. Au lieu de parler de vérification, Popper parle de «corroboration» pour les observations qui vont dans le sens de la théorie.
Il propose donc d'abandonner l'induction comme méthode scientifique. Et il va moins s'interesser aux méthodes de recherches scientifiques qu'à trouver un critère de démarcation discriminant les théories scientifiques des théories non-scientifiques.
La réfutabilité
Popper considère alors que pour qu'une théorie soit scientifique, elle doit être réfutable. Qu'est ce que cela veut dire?
Imaginons une théorie non-réfutable c'est à dire qu'on ne peut jamais prouver qu'elle est fausse. Par exemple, je vais dire: il existe autour de nous des tas de lutins invisibles qui nous observent. Cette théorie est irréfutable, en effet vous ne pourrez jamais prouvez que cette théorie est fausse.
Prenons maintenant une théorie réfutable: la relativité générale. Elle a fait un grand nombre de prédictions qui ont été mis à l'épreuve. Par exemple, elle prévoyait que la trajectoire des rayons lumineux soit courbée dans un champs de gravitation (comme a proximité du Soleil) suivant un angle deux fois plus grand que celui prédit par la théorie newtonienne. Cette prédiction a été mise à l'épreuve dès 1919 à l'occasion d'une éclipse totale.
Pour qu'une théorie soit réfutable, elle doit donc faire des prédictions pour pouvoir la mettre à l'épreuve. Si la théorie prédit quelque chose qui a déjà été observé ce n'est suffisant (ce n'est qu'une «postdiction») car aucune expérience ne permet de réfuter cette théorie.
Le critère de démarcation vue comme une définition
Le critère de réfutabilité peut être utilisé pour définir l'adjectif «scientifique» très simplement:
Une théorie est scientifique si elle est réfutable
Ainsi, on sort quelque peut du débat de savoir si le critère de démarcation est juste: il l'est pas définition. Bien sûr, c'est un peu facile car il faut encore être en accord avec l'acceptation généralement admise du terme «scientifique» ainsi qu'avec l'histoire des sciences.
Cela marche assez bien mais il faut ici attirer l'attention sur une faute à ne pas faire. Il ne faut pas voir la réfutabilité comme ayant quelque rapport avec la démarche scientifique. Ainsi, quand on confronte l'histoire des sciences avec cette définition, il ne faut pas chercher à savoir si le chercheur avait ce genre d'idée en tête ou pas; c'est une fois la théorie faite que l'on peut dire: cette théorie est scientifique (ou ne l'est pas). En effet, les expériences ne sont pratiquement jamais faites pour réfuter mais confirmer ou collecter des données afin de construire une nouvelle théorie. C'est pourquoi le réfutationnisme n'est en rien une base pour comprendre la méthode scientifique.
Notion de confiance dans une théorie
Il faut maintenant préciser cette notion de réfutabilité par rapport à la vraisemblance d'une théorie. C'est à dire, quel est le lien entre le fait qu'une théorie soit scientifique (au sens de Popper) et qu'elle décrive correctement la réalité ?
Il est parfaitement possible d'avoir une théorie scientifique fausse, tout comme il est possible d'avoir une théorie non-scientifique correcte. Le critère de Popper n'est pas une garantie absolue de la véracité d'une théorie. Elle permet cependant d'augmenter notre confiance en elle.
Ainsi, si je dis qu'un petit nounours vert est quelque part caché sous la surface de Pluton, comme personne n'a les moyens d'aller vérifier, personne ne pourra jamais me prouver que j'ai tord, la théorie est donc non-scientifique au sens de Popper. Il est raisonnable d'être sceptique par rapport à cette affirmation, des théories de ce genre on peut en imaginer des centaines, étant hors de portée de toute réfutation, on est obligé de rester dans le doute.
Mais si je dis que les horloges vont tourner plus vite dans un champs de gravitation plus faible et que je peut même chiffrer la différence, je prend beaucoup de risque en disant cela car on peut vérifier cela autant de fois que l'on veut avec différentes expériences éventuellement très précises. Si malgré cela personne n'aura prouvé que j'avais tord, ma théorie est passée à l'épreuve du feu: elle s'en sort renforcée, car même en laissant la possibilité de la critiquer, elle est restée indemne.
Exemple: théories freudiennes et relativité
Popper donne comme exemple les théories de Freud en psychanalyse et la théorie de la relativité d'Albert Einstein:
- pour Popper, le gros problème des théories de Freud est qu'elle sont irréfutables donc non-scientifiques. Par exemple, Freud explique beaucoup de choses en faisant appel à l'inconscient mais les mécanismes de l'inconscient ne se prêtent guère à l'expérience. Popper qualifie la psychanalyse de pseudo-science au même titre par exemple que l'astrologie ou l'homéopathie. Il est à noter qu'il n'est pas le seul à avoir critiqué la psychanalyse et encore aujourd'hui le statut de cette discipline fait débat même si il généralement admis par les scientifiques et les philosophes des sciences que la psychanalyse n'est pas une science.
- Dans le cas de la théorie de la relativité, comme on s'y attend, Popper la considère comme une théorie scientifique. La relativité a fait des tonnes de prédictions dont la majeure partie a été confirmée par l'expérience.
Exemple: la théorie de l'atome
Beaucoup de gens le savent: la notion d'atome est très ancienne et remonte à l'Antiquité. C'est le philosophe Démocrite qui est à l'origine de cette notion dans une doctrine appelée l'atomisme.
Aujourd'hui, nous savons tous que Démocrite avait (partiellement) raison. Mais il reste que sa théorie n'était certainement pas scientifique. En effet, dans le contexte de la Grèce antique, cette affirmation n'était pas réfutable donc non-scientifique. Le fait que son intuition était bonne ne change rien à ce fait.
La théorie de l'atome redevient d'actualité avec John Dalton au début du XIXe siècle. Cette théorie devient scientifique et l'existence des atomes fut confirmé expérimentalement.
En conclusion, une théorie peut être scientifique ou non selon les moyens d'expérimentation dont on dispose. Il est toutefois hasardeux d'émettre des théories en espérant que l'on puisse un jour les confirmer car on a dû attendre plus de deux mille ans avant que la théorie atomique passe de simple spéculation à théorie scientifique.